Le renchérissement des métaux précieux reflète l’adaptation du monde à la raréfaction des ressources

Etienne Bossu, Chief Trading Officer chez Electrum, s’entretient avec Véronique Riches-Flores, macroéconomiste indépendante et anciennement Chef économiste chez SG CIB, sur les perspectives économiques mondiales et le nouveau paradigme de marché.

Le renchérissement des métaux précieux, à commencer par l’or, s’est accéléré au cours des derniers mois. Au-delà des actualités géopolitiques récentes, quels sont les ressorts profonds et les conséquences de ce renchérissement?

Véronique Riches-Flores : Ce cycle haussier des métaux précieux a en réalité démarré dès 2008. La crise des subprimes avait alors été le prélude au lancement de vastes politiques monétaires quantitatives, qui ont participé à une érosion progressive de la valeur des grandes devises. Plus largement, ce renchérissement général reflète l’adaptation du monde à la raréfaction des ressources et au vieillissement de la population. Ces deux tendances expliquent pour une large part le retour du politique dans le champ économique, qui rompt avec l’ancien paradigme d’une hausse ininterrompue et auto-entretenue de l’offre. Elles marquent ainsi la fin d’un monde marqué par l’abondance des biens, une inflation contenue, des cycles longs et des taux d’intérêt réels bas, que les économistes ont souvent qualifié de « grande modération ».

Les marchés doivent désormais composer avec un environnement plus régulé, une multiplication des chocs d’offre, une instabilité chronique des prix et une généralisation des tensions politiques et sociales. Cette nouvelle réalité n’est pas sans rappeler la période préindustrielle, pendant laquelle les aléas météorologiques s’accompagnaient d’une instabilité de la production agricole et donc, d’une alternance de chocs d’inflation et de déflation.

Etienne Bossu : Cette raréfaction se conjugue aussi à un essor de la demande pour les métaux en général, dont certains ont un usage industriel-clé dans le cadre des programmes de réarmement à venir et évidemment de la transition énergétique. C’est le cas de l’argent pour la construction des panneaux solaires, ou encore du platine pour les piles hydrogènes. Les enjeux de souveraineté poussent par ailleurs les Etats dans une course pour contrôler ces matières premières stratégiques, ce qui accentue en retour les pénuries. Le renchérissement des métaux précieux reflète ainsi ce double statut de valeurs refuges et de composants-clés dans la transformation de l’appareil industriel.

Les marchés semblent avoir durablement changé de régime. Comment se matérialise ce nouveau paradigme?

EB : La période actuelle marque la fin définitive de l’ancien cycle caractérisé par une inflation basse et une volatilité faible. Les investisseurs n’ont pris la pleine mesure de ce paradigme que récemment, alors que le niveau modéré de la volatilité implicite tranchait il y a encore peu avec la forte tension des niveaux de volatilité historique. De ce point de vue, les pics de volatilité occasionnés par les décisions erratiques et peu lisibles de la nouvelle administration américaine ne font qu’amplifier ce nouveau régime de volatilité. Elles n’en sont pas la cause profonde. Ce nouvel environnement de marché a un impact très important sur nos stratégies de trading, avec des positions réduites pour pouvoir continuer de les tenir dans le temps.

VRF : Cette instabilité chronique intervient par ailleurs dans un contexte de perte de confiance dans le dollar. Combiné à un dérapage programmé du déficit budgétaire américain, cette baisse de l’attrait des actifs libellés en billet vert fait perdre à la dette publique américaine son statut historique de valeur refuge, laissant les investisseurs internationaux orphelins de leur principal actif sans risque. De quoi accélérer le rebond des taux d’intérêt réels, qui sont déjà remontés à 2% à 10 ans aux Etats-Unis et que les orientations de la présidence Trump pourraient encore accentuer. Si elle menace le modèle américain de surconsommation, cette perte de statut du dollar va également affecter la circulation des capitaux, qui devraient se concentrer à l’avenir sur des zones d’influence plus circonscrites.

Dans ce contexte, les marchés valorisent en priorité les actifs qui souffrent du déséquilibre croissant entre l›offre et la demande, comme les métaux, et ceux qui permettent d’accroître la productivité dans un monde fini. C’est notamment le cas, dans une certaine mesure, des nouvelles technologies, ce qui explique les valorisations actuelles. Mais là aussi il semblerait toutefois que le cycle haussier soit derrière nous. Ces groupes, que les ratios de valorisation rendent particulièrement sensibles à la hausse des taux d’intérêt, sont en effet confrontés à des défis majeurs et inédits, comme l’explosion de leurs besoins en énergie, les répercussions de la guerre commerciale en cours et la concurrence asiatique grandissante.

Les métaux sont particulièrement concernés par ce déséquilibre croissant entre offre et demande. Quels sont les freins à une adaptation de l’offre à la hausse de la demande?

EB : L’offre et la demande souffrent d’un décalage marqué dans leurs horizons de temps. L’accélération des investissements dans la transition énergétique a en effet un impact d’ores et déjà tangible sur la demande, qui va se renforcer considérablement dans les années à venir. Or cet essor est confronté à une offre très inélastique. L’exploitation d’un nouveau site minier nécessite en effet du temps (environ 7 années en moyenne pour le cuivre), de la visibilité et des capitaux. Autant d’éléments qui manquent cruellement aujourd’hui.

Le stock d’épargne est pourtant abondant. Pourquoi ne s’alloue-t-il pas là où résident les besoins réels de nos économies ?

VRF : Le stock d’épargne mondial est certes abondant, mais il a changé de nature. Le vieillissement de la population réduit en effet l’appétit général à l’égard du risque, alors que la population active en âge d’épargner ne cesse de se rétracter au sein des grandes économies développées. Or les politiques publiques peinent à prendre le relais et œuvrent pour l’instant très insuffisamment à aiguiller l’épargne vers les secteurs critiques, qui se retrouvent dès lors sous-financés.

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